Violences à répétition, défiance généralisée, crise de sens, jeunesse désorientée, familles déboussolées… Depuis plusieurs mois, la Guadeloupe est régulièrement secouée par des drames humains qui traduisent bien plus qu’une montée de la violence. Ils révèlent une fragilisation profonde de nos liens sociaux, et une difficulté collective à se parler, à se comprendre, à coexister.
Dans plusieurs tribunes récentes – qu’il s’agisse de l’appel au sursaut de l’élite antillaise, de la parole forte de Mgr Philippe Guiougou ou encore de l’analyse lucide de Jean-Marie-Nol sur la jeunesse entre ombre et lumière, le même constat revient : nous manquons de ponts. De médiateurs. D’intermédiaires humains.
Quand la société se fragmente, la médiation devient vitale
Selon le baromètre du lien social 2025,
plus de 70 % des Français estiment que le lien social se dégrade, et ce sentiment est encore plus fort dans les territoires ultramarins. Le rapport « (Re)faire nos liens », publié en mai 2025, souligne l’importance de recréer des espaces de confiance, de dialogue et de coopération… car le tissu social ne se répare pas seul.
La médiation sociale, souvent méconnue ou réduite à une simple gestion de conflits, est en réalité un outil puissant de réparation sociale. Elle permet de renouer les fils dans les familles, entre les jeunes et les institutions, dans les quartiers en tension, entre salariés et employeurs, entre voisins en conflit.
Elle ne prend pas parti, ne juge pas, ne condamne pas. Elle écoute, reformule, apaise, propose des issues là où tout semblait bloqué.
Une compétence locale sous-exploitée
En Guadeloupe, de nombreux médiateurs formés agissent déjà dans les coulisses : dans les établissements scolaires, les CCAS, les associations, les missions locales. Mais leur
reconnaissance institutionnelle reste trop faible, et leur travail est souvent précaire, cloisonné ou invisibilisé.
Pourtant, dans des contextes familiaux tendus, dans des quartiers où la parole ne circule plus, dans les entreprises confrontées au mal-être silencieux de leurs salariés, la médiation sociale désamorce, reconstruit, accompagne.
Une urgence collective à soutenir
La question n’est plus de savoir si nous avons besoin de médiation, mais
comment faire pour la rendre accessible, pérenne et structurée. Ce n’est pas un luxe, ni un gadget : c’est un investissement de société.
Pour les familles monoparentales, pour les jeunes en errance, pour les aidants débordés, pour les citoyens fatigués, elle représente une main tendue.
Pour les collectivités, les bailleurs sociaux, les institutions, elle constitue un levier de pacification et d’efficacité.
Pour nous tous, elle pourrait bien être l’un des piliers d’un nouveau pacte social antillais, fondé sur l’écoute, le respect, et la responsabilité partagée.
Appel à reconnaissance
Dans une société qui cherche des solutions durables aux crises multiples qu’elle traverse,
il est temps de reconnaître la médiation sociale comme un métier, une mission, un pilier.
Il est temps que les institutions, les élus, les citoyens s’en emparent, non pas comme un correctif, mais comme un choix de société.
À défaut, le bruit continuera de couvrir les voix. Et les silences, de briser les liens.
Chantal TRIPOLI, médiatrice sociale